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BACCHUS.

quatre-vingt et un mille pieds juifs, soit parce que les langues se confondirent ; et c’est évidemment depuis ce temps-là que les Allemands n’entendent plus les Chinois : car il est clair, selon le savant Bochart, que le chinois est originairement la même langue que le haut-allemand.


BACCHUS[1].


De tous les personnages véritables ou fabuleux de l’antiquité profane, Bacchus est le plus important pour nous, je ne dis pas par la belle invention que tout l’univers, excepté les Juifs, lui attribua, mais par la prodigieuse ressemblance de son histoire fabuleuse avec les aventures véritables de Moïse.

Les anciens poëtes font naître Bacchus en Égypte ; il est exposé sur le Nil, et c’est de là qu’il est nommé Myses par le premier Orphée, ce qui veut dire en ancien égyptien sauvé des eaux, à ce que prétendent ceux qui entendaient l’ancien égyptien, qu’on n’entend plus. Il est élevé vers une montagne d’Arabie nommée Nisa, qu’on a cru être le mont Sina. On feint qu’une déesse lui ordonna d’aller détruire une nation barbare ; qu’il passa la mer Rouge à pied avec une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants. Une autre fois le fleuve Oronte suspendit ses eaux à droite et à gauche pour le laisser passer ; l’Hydaspe en fit autant. Il commanda au soleil de s’arrêter ; deux rayons lumineux lui sortaient de la tête. Il fit jaillir une fontaine de vin en frappant la terre de son thyrse ; il grava ses lois sur deux tables de marbre. Il ne lui manque que d’avoir affligé l’Égypte de dix plaies pour être la copie parfaite de Moïse.

Vossius est, je pense, le premier qui ait étendu ce parallèle. L’évêque d’Avranche Huet l’a poussé tout aussi loin ; mais il ajoute, dans sa Démonstration évangélique, que non-seulement Moïse est Bacchus, mais qu’il est encore Osiris et Typhon. Il ne s’arrête pas en si beau chemin : Moïse, selon lui, est Esculape, Amphion, Apollon, Adonis, Priape même. Il est assez plaisant que Huet, pour prouver que Moïse est Adonis, se fonde sur ce que l’un et l’autre ont gardé des moutons :

Et formosus oves ad flumina pavit Adonis.

(Virg., Eclog., x, v. 18.)

Adonis et Moïse ont gardé les moutons.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. Voyez aussi sur Bacchus, tome XI, page 79.